Dès la première promenade, nous avons remarqué ce balcon. Il n'était pas le seul. Dans cette petite rue, parmi toute cette mosaïque de draps et de vêtements offert au vent, les drapeaux du parti socialiste ne paressent presque pas. Enfin, si, paresseusement ils trônent dans ce coin oublié de la Ribeira. Comme personne ne passe ici, l'acte semble gratuit. L'affichage est d'autant plus étonnant qu'il y a manque d'espace de séchage. Il faut donc considérer ce sacrifice avec respect. Je ne me souviens pas d'avoir été témoin d'un geste aussi équivoque à Paris. C'est peu dire...
Justement, il est temps de revenir sur la gauche française. Permettez cette digression sociologique: c'est déjà un vieux réflexe. Au cours de mes dernières lectures, je me suis retrouvé nez à encre avec la bête. En guise de tentative d'explication adroite, je vous offre quelques bribes de l'hypothèse soulevée par François Dubet dans son dernier livre: Le travail des sociétés.
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"Les sociétés modernes étant dominées par l'égalité et la liberté d'un côté, et par la diversité des intérêts et la lutte des classes de l'autre côté, l'intégration sociale est produite par l'institutionnalisation politique de la solidarité."
"... les associations, notamment les syndicats et les partis représentatifs, fabriquent l'intégration sociale en institutionnalisant progressivement les demandes sociales, en créant des droits sociaux, en forgeant l'État-providence, en protégeant progressivement les groupes les plus démunis."
"Avec la révolution industrielle, avec les besoins de main-d'oeuvre, avec les corporations et les syndicats naissants, et l'appui des mouvements philanthropiques, s'est formé une système de solidarité basé sur le travail et le salariat. Peu à peu, chacun bénéficie de protections et de droits sociaux contre les aléas de la vie et du marché du travail, dès lors qu'il est salarié ou attaché au salariat par des liens familiaux. D'abord limités à quelques corporations, ces droits se sont étendus à tous ou à presque tous, comment autant d'élargissements d'un contrat de travail fixant les principes d'une solidarité élargie."
"Ainsi, la division du travail installe une solidarité organique par le biais du travail et, peu à peu, comme le montre Polyani, le capitalisme est canalisé par la société industrielle."
"... les syndicats sont à la fois des institutions et des vecteurs de la lutte des classes, les luttes sociales aboutissent à des droits et des acquis, les droits démocratiques ouvrent des droits sociaux donnant un peu de chair à l'égalité des citoyens."
"Peut-être plus qu'ailleurs, ce récit a associé la construction de la nation au progrès social, à la démocratie et à la puissance des institutions."
"Dans ce "creuset", les migrants s'intègrent d'abord de manière fonctionnelle dans l'économie en occupant les places que les travailleurs français leur abandonnent afin e s'élever dans la hiérarchie professionnelle. Là, ils s'organisent autour du travail et des syndicats au nom de leur identité de travailleurs en renonçant à mettre en avant leur culture, leur langue et leur religion cantonnées dans des espaces privés. Puis, deuxième étape, ils entrent progressivement dans le système institutionnel par l'école qui les inclut dans la culture nationale, par le syndicalisme et la participation politique."
Ce récit d'intégration "a fonctionné comme une norme, comme un "régime de vérité" à partir duquel on pouvait interpréter la vie sociale comme étant sous-tendue, informée, par des mécanismes d'intégration associant une structure fonctionnelle et une culture nationale par le jeu des institutions."
"Bien sûr, c'est la gauche qui s'est le plus identifiée à cette représentation dans la mesure où elle était à la fois sociale et moderne, où elle opposait la société au capitalisme "sauvage" et aux vieux ordres tratiditionnels, où elle puisait ses racines dans la Révolution, dans le mouvement ouvrier et dans une confiance bien plus ancienne dans un État de hauts fonctionnaires allant de Colbert à Bloch-Lainé. On comprend mieux que, ce régime se défaisant, la gauche soit intellectuellement démunie quand elle semble condamnée, soit à défendre un continent perdu, soit à se couper de ses racines intellectuelles et de son imaginaire."