Hic et nunc

Lentement, du moins assez lentement pour respecter l'idiosyncrasie de celui qui s'appuie sur ce clavier, je déploie de nouvelles habitudes. Ainsi, il m'arrive de plus en plus souvent de me rendre boulevard Raspail (là où plafonnent les hautes études en sciences sociales). Afin d'éviter le vertige de ces études qui n'en finissent plus, ils ont installé la bibliothèque au premier étage. C'est pratique et ça me convient tout à fait. J'y pose la tête quelques heures; j'y triture les méninges de quelques auteurs. Précisément, à pleine page, ce que j'y fais me regarde et me dévisage. Je ne ferai donc pas l'erreur de prendre cet espace pour un palais aux miroirs. Laissez-moi plutôt me complaire à la sublimation de mes neurones et m'adonner - moderato cantabile - à la mélodie du paysage à l'aller et au retour.

Enfourchant ma bécane écologique à propulsion lente je bifurque au coin de ma rue, passant devant les troquets où une foule matinale défile en petites grappes. Rue de la Roquette le bitume s'étend en pente douce alors qu'alterne les parfums : pain frais, poulet en rôtissoire, fleuriste, pain frais... Il me semble que le temps s'étire avec une aisance toute particulière.

Cavaler sur deux roues n'est pourtant pas chose facile. Tout d'abord, on peine à trouver les indications routières et les feux de circulation. Ensuite, il faut jouer du coude entre toute cette ferraille nerveuse que mènent avec fatuité les pousse-crayons, bureaucrates et autres "costardises parisiennes". Place Léon Blum, je souffre un peu du voisinage de ces animaux dénaturés.

Il me suffit pourtant de penser à ce qui m'attend un peu plus loin pour persévérer avenue Ledru-Rollin et rejoindre enfin la piste cyclable. Alors que défilent toutes ces bagnoles, je me fais mon cinéma : travelling en fondus enchaînés. Quel film que celui qui accompagne la mélodie du cours au long boulevard. Vercors y trouverait la collection d'objets la plus inénarrable.

Une droite et je devine la Seine toute proche. Une gauche et je passe le Square Barye (pensée cynique pour le Square Berri). De l'autre côté de l'île Saint-Louis je m'arrête un instant sur le pont de Sully pour respirer et laisser l'horizon s'imprimer sur mes rétines (voir photo tout en haut). Je réalise une fois de plus toute cette chance que j'ai... Cleptomane, j'ai les yeux pick-pockets et je vole un peu de cette ville encore arborescente de curiosités.

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