Évidemment, avoir du temps permet de papillonner... J'ai tant à voir et tant à faire que, lentement, j'ai un peu l'impression de ne plus m'appartenir: partagé que je suis entre le désir d'explorer les lumières de cette ville et la faim intellectuelle qui m'a prise en y arrivant. Je voudrais avoir du temps pour tout. Mon penchant montréalais pour la vie culturelle ne m'échappe pas non plus, mais ce qu'il y a de meilleur c'est tout simplement de flâner dans Paris. Partir avec un livre et laisser ses pas porter sa tête-bocal. Jouer à se visser une caméra entre les épaules et chasser le coup d'oeil, l'insolite, l'extase du moment (aussi simple soit-il).
En fait, je passe mon temps à noter pour moi-même l'anecdotique événement sociologique. C'est tellement plus facile de prendre ce recul ailleurs que chez soi. Récemment, je n'arrive même plus à tout mettre en mots tellement ça bouillonne...
Par exemple:
À force de tergiversations pédestes j'ai récemment pensé écrire un traité sur l'art stratégique de la quête dans les grandes villes. Pardonnez mon ironie, mais après tant d'exposition au gaz vaporeux de la mendicité le corps (et l'esprit surtout) développe une forme de tolérance. En fait, tolérance n'est pas le mot juste.
Le mot juste se fait toujours attendre, mais en attendant ce Godot lexical nous pourrions dire qu'il s'agit d'une stratégie de l'âme qui persévère dans l'être (demandez à Spinoza qui m'accompagne par les temps qui courent). Une stratégie qui permet de résister au spectacle impossible de la chute et à sa répétition à outrance. On a parfois l'impression que tout le monde a quelque chose à demander... que les quêtes ne sont vraiment pas toutes portés par l'esprit, mais que beaucoup se limitent aux mains...
Je vous laisse avec quelques exemples sordides de ce plaisir bourgeois que serait le recensement de l'art de la quête:
- Dans le métro, passer de wagon en wagon en distribuant flatteries et compliments la main tendue. N'oubliez personne et profitez de la vanité des gens comme de la grisaille des villes pour mettre un peu de soleil et leur faire oublier ce que vous demandez en retour...
- Sur le trottoir, placer son chien affamé devant un bol vide et une affiche "j'ai faim". Étonnamment, l'animal attire beaucoup plus d'empathie que sont maître qu'on juge rapidement responsable de son état.
- La variante bébé est aussi à considérer. Il s'agit d'une stratégie choc... Le mieux c'est tout simplement de placer le poupon sous le nez de votre "victime" et d'attendre. Difficile de résister devant l'innocence.
- Ciblez les sites touristiques et, comme vous avez passé de nombreuses l'années à quémander aux parisiens, passez dans la foule en demandant "Do you speak english?". Il s'agit d'un excellent moyen pour trier la clientèle: les touristes ont de l'argent neuf!
Vous constaterez qu'il y a peu je reprochais aux parisiens de choisir de ne plus voir. Je me permet maintenant une précision: je ne détourne pas le regard (il s'agit d'un minimum d'humanité que de reconnaître son prochain), mais par l'esprit je déforme l'essence de la situation pour me la rendre supportable. Je sais c'est horrible... à chacun ses monstres.
... et vous comment faites-vous?