L'Étranger

Ce 4 janvier, tranquille à la maison, j'allume la radio pour couvrir le silence des voisins... J'essaie de travailler le concept de subjectivation chez Rancière et le Touraine "nouvelle mouture"... Parfois, n'en déplaise à Aristote, un peu de phonè aide à la concentration, aide le logos. Bref, j'allume la radio sans trop écouter.

C'est France Culture qui est syntonisé alors ça parle. Ça parle tellement qu'après une heure, je me rends compte que ça parle... que ça parle français même et que ça parle d'Albert Camus. Tiens, Camus... qu'a-t-il bien pu ne pas faire pour qu'ils en parlent tout l'après-midi*?

Eh bien, les Français célèbrent le 50e anniversaire de la mort d'Albert Camus. Victime d'un accident de voiture sur une route du département de l'Yonne, il devient le lauréat du Prix Nobel ayant eu la vie la plus courte, mais il devient aussi immortel puisqu'on en parle toujours...

Né en 1913 dans un quartier populaire d'Alger, Albert grandit avec ses deux frères et sa mère analphabète à qui il voue une grande admiration. À l'école communale, son instituteur Louis Germain détecte son talent pour les lettres et le pousse à poursuivre ses études.

En 1940, Camus s’installe à Paris. Dans la trilogie du "cycle de l'absurde" il développe sa philosophie : l'Homme ne trouve pas de cohérence dans la marche du monde et n'a d'autre issue que la révolte. En 1943, il s’engage dans la Résistance et prend la direction du journal clandestin Combat.

Après la guerre, l’intellectuel continue de se distinguer par ses prises de position politique. Il sera l’un des rares à dénoncer l'utilisation de l'arme atomique après le bombardement d'Hiroshima, en août 1945. Homme de gauche, il dénonce la dérive vers le totalitarisme de l’Union soviétique, ce qui lui vaut de se brouiller avec son ami Jean-Paul Sartre. Puis, il s’attire les foudres d’une gauche soutenant la lutte pour l’indépendance algérienne en refusant le terrorisme sous toutes ses formes.

Janvier 1956, son appel à la trêve pour les civils l'éloigne définitivement de la gauche française. Simone de Beauvoir dira alors que "Camus s'est rangé «du côté des pieds-noirs», et qu'il a choisi la colonisation contre la guerre d'Algérie". Interrogé par un étudiant algérien, sur le caractère juste de la lutte pour l'indépendance, Camus répondra : "Si j'avais à choisir entre cette justice et ma mère, je choisirais encore ma mère."

Cette prise de position est sans doute ce qui fera dire à de nombreux Agériens qu'il n'est pas un écrivain algérien, mais un écrivain français d'Algérie. D'ailleurs, beaucoup de journaux algériens sont totalement silencieux sur le cinquantième anniversaire de sa mort. Pas un mot dans El Moujahid, le quotidien gouvernemental. Rien non plus dans Le Quotidien d'Oran, premier quotidien francophone du pays. Liberté, quotidien près du mouvement kabyle organisé politiquement dans le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), se contente d'annoncer les émissions qui seront consacrées à Albert Camus cette semaine... dans les médias français. El Watan ("Le pays") est le seul à lui consacrer un véritable dossier, avec des opinions contrastées.

En 1957, il reçoit le prix Nobel de littérature pour l'ensemble de son œuvre "qui met en lumière les problèmes qui se posent [...] à la conscience des Hommes". Lors de la remise de son prix, il rend un hommage appuyé à son instituteur et devient le symbole du succès de l’école républicaine. Les honneurs le confirment, on en a quand même fait un membre de la République!

D'un côté, les Algériens pour qui l'écrivain ne s'est jamais débarrassé de ses réflexes bien enracinés dans son inconscient colonial. De l'autre, les Français pour qui il est encore "pied noir"... Ça a beau parler à la radio, écrire dans les journaux, moi j'entends surtout "le malaise dans la colonisation"**.

Je sais, c'est très québécois diront certains...

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*Lorsque nous parlons de l'après-midi, les Parisiens rigolent. Notre utilisation de "matinée" et "d'avant-midi" aussi les fait bien rire. Fin de semaine, souper, dîner, déjeuner... À bien y penser notre rapport au temps n'est pas du tout le même. Faudrait creuser le sujet éventuellement.
** ... désolé M. Freud.

1 commentaires:

Unknown a dit…

Merci Simon! Excellent blogue sur Camus.

Quel homme révolté équilibré.